Histoire de patrimoine

Le 1 décembre 2006, in Nostalgie, par admin

C’est l’histoire d’un couple, au début des années 60. Lui, gendarme de son état, débarque de son Valais natal, et elle, Combière pur sucre, posent leur baluchon à Genève. Mais avec des origines rurales comme ça, il faut trouver une échappatoire à la grande ville. Ils trouvent finalement un bout de terrain pentu comme un gosier d’ivrogne quelque part dans le Jura, pas trop loin et surtout pas trop cher. Lui, très bricoleur, passera les années suivantes là-haut, à aplanir, creuser, niveler, pour finalement pouvoir mettre quelques briques les unes sur les autres et construire entièrement un petit chalet. Pour pouvoir en profiter les vieux jours, et puis ça reviendra aux héritiers après.

C’est l’histoire d’un couple établi, dans les années 80, qui n’ont pas d’enfants et n’en auront pas, qui passent l’été dans leur chalet, plutôt que dans la cohue de la grande ville. Il fait frais la nuit, c’est calme, il y a le jardin aplani après de gros efforts, et le week-end il y a le reste de la famille qui vient y faire des barbecues ou des raclettes quand c’est les Valaisans. Et à la retraite, ils pourront rester là la moitié de l’année, il y aura juste l’hiver où il faudra peut-être mieux rester en bas.

C’est l’histoire d’un vieux couple, dans les années 2000. Lui a fait une attaque cérébrale, il est aphasique et à moitié paralysé. Il y a déjà quelques années que ça dure. Pas facile. Plus moyen de monter au chalet, ce dernier tombe gentiment à l’abandon. Il y a bien le petit neveu qui essaie d’y passer de temps en temps pour donner un coup de peinture ou de tondeuse, mais le chalet sent le vide. Tant pis, les héritiers s’en occuperont quand il leur reviendra.

C’est l’histoire d’une femme malade qui faisait partie d’un vieux couple. La pauvre, elle ne comprend plus tellement ce qui lui arrive. Les souvenirs ancien et nouveaux se téléscopent dans sa tête. Elle ne peut plus vivre seule chez elle, impossible de se rappeler comment faire à manger ou comment fermer le gaz. Elle ne se rappelle même plus que quelque part dans le Jura, elle a un petit chalet, vide depuis longtemps.

C’est l’histoire du neveu d’un vieux couple. On lui avait rebattu les oreilles quand il était gamin avec ces histoires d’héritage : « Tu verras, un jour le chalet sera à toi ! », « C’est le patrimoine de la famille. », « Ton oncle l’a bâti avec ses propres mains. ». Il trouvait ça assez bizarre d’attendre que les gens meurent pour avoir le chalet, mais bon, ça avait l’air d’être important pour eux; le « patrimoine », c’est un mot compliqué et ça doit donc être important. Alors le neveu avait finalement intégré comme une sorte de mission sacrée qu’il allait s’occuper du petit chalet après.

Ce matin, j’ai reçu un coup de fil du tuteur de ma tante qui m’a expliqué qu’étant donné sa situation économique, il était absolument impératif d’obtenir une rentrée de fonds. Le bien immobilier qu’elle possède dans le Jura va donc être vendu d’ci fin janvier, plusieurs acheteurs sont déjà en compétition.

Tante Fanne, Oncle Michel : Désolé, le patrimoine fout le camp et je ne vais pas pouvoir m’occuper du petit chalet après…